A l’heure des big data, les entreprises disposent d’énormes volumes de données qu’elles peuvent analyser afin d’optimiser leur performance et créer de nouvelles sources de valeur. A titre d’exemple, Walmart, le géant américain de la distribution, collecte plus d’un million de transactions par heure, qui viennent enrichir ses bases de données clients ! En effet, le marketing est par excellence un terrain d’expérimentations et d’innovations qui bénéficient des apports de l’analytique.
Dans ce domaine, les succès rencontrés par les premiers projets participent à l’esquisse de nouvelles formes de la relation client. La marque Burberry s’appuie sur sa connaissance client construite à partir des données internes et externes à l’entreprise pour enrichir l’expérience d’achat en magasin.
Et le potentiel est encore considérable, comme en témoigne une étude menée par SAS et CMO Council : parmi les entreprises interrogées, seule une minorité déclare disposer des ressources humaines et techniques permettant de s’appuyer sur l’analytique et les big data afin de créer de nouvelles opportunités de croissance. Mais il y a fort à parier que la démocratisation des solutions technologiques contribuera à une plus large adoption de l’approche analytique, y compris par les PME. Analyser les données structurées et non structurées afin d’optimiser la relation client et offrir une expérience d’achat multicanale et enrichie, telle est l’évolution durable qui est en cours !
Big Data, Open Data, Smart Data... Les termes sont nombreux pour décrire la masse gigantesque de données aujourd’hui en circulation. Selon une étude d’IDC financée par le cabinet de conseil EMC, les données numériques créées dans le monde seraient passées de 1,2 zettaoctets en 2010 (1 zettaoctet représente 1021 octets) à 2,8 zettaoctets en 2012 pour atteindre... 40 zettaoctets en 2020. Et ces chiffres ne représentent qu’une vague estimation car selon certains professionnels, il est désormais impossible de quantifier les données mondiales.
Le plus gros reste encore à faire
Ce volume astronomique d’informations peut se présenter sous la forme de textes, d’images ou de statistiques liées à Internet. Ces données peuvent également être publiques (on parle alors d’Open Data), être liées à une position géographique (adresse IP ou positionnement par GPS) ou appartenir au domaine privé de la personne. Longtemps, les entreprises et les associations n’ont pas osé ou pas pu puiser dans cette mine incroyable d’informations pour entrer en contact avec leurs clients, leurs prospects ou leurs possibles adhérents mais l’évolution des technologies et des mentalités commence aujourd’hui à changer la donne, même si le plus gros du travail reste encore à faire...
L’ère de la « paleo-data »
Près de la moitié des responsables marketing jugent que leurs datas sont l’actif qu’ils utilisent le plus mal aujourd’hui et à peine 10% se servent systématiquement de ces données pour définir leurs stratégies commerciales, si l’on en croit une enquête de Teradata, le leader mondial des solutions analytiques. La plupart des sociétés n’ont toujours pas les outils pour tirer profit des informations qui sont à leur disposition. Un sondage effectué en mars 2013 par CMO Council et SAS montre ainsi qu’à peine 15% des entreprises interrogées jugent posséder les capacités de stockage et le personnel qualifié pour analyser leurs datas. La grande majorité des employeurs (71%) estiment être encore loin du compte. Plus de la moitié des sociétés jugent pourtant que ces données leur ont déjà permis d’identifier de nouvelles opportunités de croissance (52%) et de plus facilement entrer en contact avec leurs clients (44%).

Le fantasme du Big Brother
Les « datas » englobent un spectre très large d’informations plus ou moins accessibles. « Ce terme recouvre énormément de choses et cela crée beaucoup de confusion dans l’esprit des gens, confirme Yan Claeyssen, fondateur et co-président d'ETO/ groupe Publicis, et vice-président de l'AACC Customer Marketing. Il y a tout d’abord les données individuelles qui peuvent être nominatives et personnelles mais ces dernières sont très peu utilisées, et quand elles le sont, l’entreprise doit obtenir au préalable l’accord de la personne intéressée. Il ne faut donc pas croire au fantasme du Big Brother. Il y a aussi les Open Data qui sont disponibles pour tous. On peut aujourd’hui connaître beaucoup de choses. Il est ainsi possible de savoir, grâce notamment à la géolocalisation ou aux adresses IP, le parcours d’un client en ville ou sur le net. Quand une personne surfe sur un site, utilise sa carte de fidélité dans un magasin ou circule dans les transports publics avec son passe Navigo, on est capable de le suivre. Avant, une société comme La Redoute envoyait son catalogue chez les particuliers et elle attendait de recevoir leurs commandes pour découvrir les produits les plus populaires. Aujourd’hui, ce vépéciste met ses références en ligne et il peut savoir en temps réel quel client est allé sur son site, qui a cliqué sur tel ou tel produit et combien de temps un consommateur a passé à lire une page particulière. Cette collecte de données, quand elle est bien exploitée, permet au distributeur d’offrir à chaque consommateur le produit qu’il souhaite au moment qui lui convient le mieux. »
La Data , une entremetteuse
Burberry fait figure de précurseur dans ce domaine. Dès son arrivée dans une boutique de la marque, une cliente, qui est de passage à Londres pour un voyage d’affaires, est aujourd’hui accueillie par un vendeur qui lui propose les nouveautés qui peuvent potentiellement lui plaire en fonction de ses achats précédents, des tweets qu’elle a postés sur la Toile et des études d’instituts spécialisés dans l’analyse des nouvelles tendances de la mode. L’ employé peut aussi lui présenter, sur sa tablette, des petits films montrant des mannequins qui portent la robe qu’elle a sélectionnée et le conseiller a la possibilité de lui préciser si l’article est disponible dans la boutique la plus proche de son domicile ou si elle souhaite qu’il lui fasse livrer sa tenue à son appartement. La « magie du data » commence à prendre tout son sens...
Le plus intéressant est que toutes ces données étaient déjà présentes au sein de l’entreprise. Ses dirigeants ont juste mis en place un système pour les collecter et les traiter. « Les sociétés regorgent de datas, constate Charlotte Hoang-Bitar, la fondatrice de Datagency, une agence parisienne spécialisée dans la « Data Communication ». La direction générale, les ressources humaines, les finances, le marketing... tous ces services ont dans leurs bases de données un trésor de connaissances qu’ils n’utilisent pas. »

Piocher les bonnes données sur la Toile : compliqué
Le traitement de ces informations n’était pas très aisé jusqu’à récemment. « Mais les prix des serveurs ont beaucoup baissé et les logiciels sont de plus en plus performants », note Y. Claeyssen. Si utiliser ses propres données n’est déjà pas une chose facile (Walmart archive chaque... heure plus de 1 million de transactions qui s’ajoutent à sa base de données qui contient déjà 2,5 petabytes, ce qui représente 167 fois le volume d’informations contenues dans la bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis), « piocher » les bonnes datas disponibles sur la Toile est une mission encore plus compliquée. Ce n’est pas un hasard si les géants de l’informatique ont dépensé ces dernières années plus de 15 milliards de dollars dans l’achat de sociétés spécialisées dans la gestion et l’analyse de big datas. Ce marché qui représente déjà près de 100 milliards de dollars, selon The Economist, progresse de 10% par an soit un taux de croissance deux fois supérieur à celui des ventes de logiciels...
Savoir travailler les données
L'une des entreprises particulièrement en pointe dans la collecte et surtout la « compréhension » des données disponible est... française. Son nom ? Synomia... Cette société de 25 personnes, basée dans la proche banlieue parisienne, propose à ses clients une analyse en profondeur de tout ce qui est écrit sur le Web à leur sujet. En collaboration avec le CNRS, elle a développé et breveté une technologie qui permet d’exploiter scientifiquement et très finement la masse de contenus textuels diffusés sur la Toile, ce que les spécialistes appellent « la big data non structurée ». « Nous indexons chaque jour plusieurs millions de pages sur la Toile, expliqueMartin Grosjean, un des deux co-fondateurs. Quand une entreprise vient nous voir, nous cherchons et analysons par exemple les 3 000 sites qui sont les plus proches thématiquement de celui de notre client et nous repérons les 10 000 mots ou expressions les plus importants à son sujet ou sur un thème qui le concerne ».

Capter et fidéliser de nouveaux clients
La société, qui s’est associée en 2013 avec TBWA, peut ainsi positionner ses clients sur la Toile, détecter des « bruits » annonceurs de futures tendances, analyser les réponses de plusieurs dizaines de milliers de salariés à un questionnaire interne ou étudier tous les tweets autour d’une marque. « Nous sommes également capables de dire précisément à un client ce qu’il doit écrire sur le web pour faire passer son message et nous allons jusqu’à contacter des bloggeurs avec des proposition de textes qu’ils peuvent mettre sur leur site », complète M. Grosjean. Les consommateurs semblent tout particulièrement réceptifs aux messages adaptés à leurs besoins et à leurs envies. « Seule une toute petite minorité de personnes semblent réfractaires à ces prises de contact directes, note Y. Claeyssen. Les gens ont compris que les sites ont besoin de publicité pour vivre s’ils ne veulent pas facturer leurs services et au lieu d’être saturés d’annonces en tout genre, ils préfèrent recevoir des pubs qui correspondent à leurs goûts. » La data permet ainsi de capter et de fidéliser de nouveaux clients. Et ce phénomène est appelé à se développer très rapidement dans les toutes prochaines années. « Le mobile va devenir le cordon ombilical en termes de prise de contact entre les marques et les consommateurs », prédit le fondateur d'ETO. Les sociétés qui parviendront à analyser et à interpréter les datas disponibles à la fois dans leurs bases de données et sur la Toile seront celles qui parviendront à tisser le lien le plus solide avec leur clientèle.
Les big datas se démocratisent
Longtemps, cette approche était réservée aux grands groupes qui étaient les seuls à pouvoir financer l’achat de gros serveurs ou embaucher des informaticiens de haut vol. Mais aujourd’hui, les big datas se « démocratisent ». Google Analytics fut un des premiers à comprendre la nécessité d’offrir des interfaces simples d’utilisation et accessible à tous. Un très bon outil de pédagogie pour faire ses premiers pas dans l’analyse de données. Car ce qui est vraiment nouveau, c’est l’utilisation des datas par des PME ou des artisans pour préserver ou déclencher une relation avec sa cible. Désormais la donnée n’est plus le monopole de grandes entreprises ou de start-up spécialisées. Elle est disponible pour tous et ce n’est qu’un commencement...
Frédéric Therin
En complément, un article des Échos :
Dans ce domaine, les pionniers ont montré le chemin : Google, Facebook et autres Amazon… Les données sont au cœur de leurs modèles économiques. Nées dans l’ère numérique, qu’elles ont pour la plupart contribué à façonner, ces entreprises ont bien évidemment profité de l’extrême digitalisation de leurs activités respectives au point de contester efficacement et rapidement la légitimité d’acteurs plus traditionnels sur leurs terrains respectifs.
Pour quelques secteurs économiques, cette forme de contestation est devenue la règle, se substituant peu à peu à la concurrence traditionnelle. Nul besoin de rappeler à quel point des entreprises comme Apple, mais aussi bien sûr Amazon, Netflix et, plus récemment, Spotify ont bouleversé de manière fondamentale les mécanismes de distribution des biens culturels affectant ainsi de manière profonde, non seulement le secteur de la distribution, mais plus largement l’ensemble des secteurs économiques produisant ces mêmes biens.
Sur un autre terrain de jeu, Google et Facebook ont radicalement modifié le paysage de la communication et de la publicité. Les banques, quant à elles, pourraient selon certaines études perdre jusqu’à 10 % de leurs revenus directs du fait de l’irruption de nouveaux entrants, telle que PayPal/eBay, Google (Wallet) sur le marché très convoité du paiement mobile estimé à près de 700 milliards de dollars à l’horizon 2020.
Ces exemples partagent des principes communs : une extrême digitalisation de leurs processus, conduisant à un usage extensif de données et d’algorithmes analytiques pour expérimenter de nouveaux modèles économiques, bien au-delà de leurs périmètres d’origine.
Big data et monétisation
Des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, peuvent également envisager de nouveaux modèles économiques basés sur leurs données. Ces modèles peuvent reposer tout autant sur des extensions de leurs cœurs de métier que sur la création de nouveaux produits et services.
En effet, les meilleures opportunités liées aux Big data viendront probablement de la capacité des entreprises à sortir de leurs quatre murs, en envisageant de rapprocher leurs systèmes d’information de données externes à l’organisation : données des réseaux et médias sociaux, données issues de la mobilité des individus (géolocalisation), données publiques (open data), données acquises auprès de tiers (data & service providers) et autres données générées par l’internet des objets et les smart grids.
Dans cette évolution, plus ou moins marquée selon les secteurs d’activités, la question de la monétisation des données s’imposera à un certain nombre d’entre elles comme une nécessité évidente voire comme une alternative de croissance inespérée. Le Gartner Group estime ainsi que 30 % des entreprises seront amenées à monétiser leurs données à l’horizon 2016. Sur le même horizon Booz & Company estiment ce marché à 300 milliards de dollars par an pour le seul secteur financier (banque, assurances et autres institutions financières).
Le terme "monétisation" reste assez ambigu. Pour une entreprise, il ne s’agit bien évidemment pas de vendre ses fichiers, mais plutôt de dégager du revenu net additionnel, par une utilisation profitable des informations qu’elle détient, valorisées par le rapprochement avec d’autres données et des traitements analytiques leur donnant un sens nouveau pour des clients potentiels. Les opérateurs de téléphonie mobile disposent, par exemple, d’une information unique sur les usages en mobilité qui reste encore très mal exploitée et dont l’intérêt pour d’autres secteurs (distribution notamment) est évident.
Certains d’entre eux sont déjà largement convaincus de cette démarche, quitte à adopter des approches contestataires et disruptives en rupture avec les principes habituels de la concurrence. À titre d’exemple, les trois principaux opérateurs du Royaume-Uni, en mettant en commun leurs données au sein d’une filiale créée à cet effet, développent des services innovants sur les marchés du marketing et du paiement mobiles où ils ne sont pas naturellement présents, ni d’ailleurs attendus.
Challenges et opportunités
Il ne faut pourtant pas se voiler la face. Pour les entreprises qui ne sont pas nées dans l’ère numérique, ce chemin vers une utilisation extensive des données semble semé d’obstacles. Résistance organisationnelle, vision parfois conservatrice des réglementations et directives relatives à l’utilisation des données personnelles, manque de maturité analytique et autres freins, s’imposent à certaines entreprises dont le potentiel en la matière semble pourtant prometteur. Plus que tout, l’essentiel est de maîtriser la chaîne de valeur des données et de s’inscrire dans une approche centrée sur trois axes principaux :
• La collecte, qui implique une relation de confiance sans faille avec les individus qui, à travers leurs actions digitales, en sont à la fois les sujets et les principaux producteurs et contributeurs plus ou moins volontaires. À cet égard, le consentement des individus reste le critère essentiel de la pérennité des approches. Les consommateurs n’échangeront leurs données personnelles que si les conditions de l’échange restent équitables.
• La valorisation, qui résulte du sens apporté par les données grâce à différentes techniques d’agrégation, de comparaison, de modélisation prédictive. Et qui, au-delà de l’utilisation de ces données au sein de l’entreprise, permettra la création de nouveaux partenariats avec la mise en commun d’informations, voire à la création de structures économiques dédiées à l’agrégation et à la valorisation des données.
• La redistribution, ultime étape de la monétisation, à travers des applications présentant l’information valorisée sous une forme intelligible ou d’interfaces de programmation (API), permettant le développement d’un véritable écosystème applicatif exploitant ces données sous forme de services à forte valeur ajoutée.
En maîtrisant ces trois aspects, de nouveaux acteurs tissent progressivement la toile d’un nouveau marché de la donnée. À l’image de cette start-up belge qui valorise, pour des enseignes clientes, les données de localisation et de navigation (web, mobile) de consommateurs consentants qui, en échange de services WiFi gratuits dans des zones de chalandise, bénéficient de différentes offres et services promotionnels.
En exécutant en temps réel des modèles prédictifs issus de l’analyse approfondie de l’ensemble de ces informations, cette start-up est à même de proposer aux annonceurs potentiels dans l’environnement immédiat du point d’accès auxquels ils sont connectés (enseignes, autres services publics…) des offres de services en marketing mobile leur ouvrant la voie d’une extrême personnalisation de la relation client/usager, intégrant à la fois les spécificités des marques participantes et celles des consommateurs.
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-94531-monetisation-des-donnees-les-entreprises-seront-elles-contestataires-ou-conservatrices-1001063.php?f2izHLfYxDpJbwCt.99
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